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Informations pour la Défense des Animaux et de l’Environnement

Position contestable de l’UNICEF vis à vis de la corrida

Destinataire : Monsieur Jacques Hintzy, Président de UNICEF France.

Monsieur le Président,

Ayant eu l’honneur, le plaisir et le privilège de diriger pendant plus de trente ans des recherches scientifiques sur le développement de l’enfant dans ses différents lieux de vie, je reste très attentif à la reconnaissance effective de ses besoins et droits, dans le respect de ses particularités, mais aussi de la pluralité des familles et cultures ainsi que de la diversité des peuples, dans l’esprit notamment de la Convention Internationale des Droits de l’Enfant. Je suis particulièrement sensible aux améliorations et innovations qui favorisent l’épanouissement et les différentes “constructions” des enfants, en particulier la sécurité affective, les liens d’attachement, les systèmes d’interaction et de communication, les rythmes biopsychologiques et les capacités d’adaptation, thèmes principaux des recherches développées avec mes équipes à l’Université et à l’INSERM (voir les éléments de mon CV en pièce jointe). Parallèlement, nous avons recherché les facteurs personnels, familiaux, sociaux et institutionnels qui peuvent déstabiliser tout au long du développement les équilibres biopsychologiques et les conduites, notamment chez les enfants dont les particularités sont considérées comme des “troubles” du développement et/ou du comportement. Etant donné l’objet de la présente lettre, il me paraît nécessaire de préciser que certaines recherches ont porté sur les interactions et relations des enfants avec ces “partenaires” que l’on nomme animaux familiers ou de compagnie (voir la bibliographie). J’ai eu ainsi l’honneur de présider la conférence internationale sur les relations entre l’Homme et les animaux qui s’est tenue à MONACO en 1989, de faire partie du “board” de colloques internationaux sur “Man-animal relationship”, et de faire partie de “l’editorial board” du périodique américain “Anthrozoos”, spécialisé dans la publication des études sur la relation “Homme- animal”.

En lien avec mes activités scientifique, je me sens évidemment et “naturellement” concerné par les principes, réflexions, propositions, décisions et actions de l’UNICEF dont la mission officielle est “de défendre les droits des enfants, d’aider à répondre à leurs besoins essentiels et de leur donner davantage d’opportunités de s’épanouir pleinement”, dans le cadre des dispositions et principes de la Convention Internationale des Droits de l’Enfant. Les quatre principes fondamentaux de cette Convention étant “la non-discrimination, la priorité donnée à l’intérêt supérieur de l’enfant, le droit de vivre, de survivre et de se développer, et le respect des opinions de l’enfant”, je ne peux qu’adhérer aux droits fondamentaux de tous les enfants du monde, définis à partir de ces principes, c’est-à-dire :
** “le droit à la survie” ;
** “le droit de se développer dans toute la mesure du possible” ;
** “le droit d’être protégé contre les influences nocives, les mauvais traitements et l’exploitation” ;
** “le droit de participer à part entière à la vie familiale, culturelle et sociale”.

J’observe que, très logiquement et avec force, le nouveau Directeur de l’UNICEF, Monsieur Anthony LAKE a souligné dans son discours du 11 octobre 2011 au cours de la table ronde sur la violence à l’encontre des enfants que “Protéger les enfants de la violence, de l’exploitation et des abus est un impératif moral. Un impératif urgent car, dans le monde, des millions d’enfants sont les victimes d’inexcusables actes de cruauté”. Parmi les violences subies par les enfants, il évoque notamment “la violence psychologique”. Dans son discours, Monsieur Anthony LAKE précise que, “indépendamment de l’endroit”... “le résultat final” (de ces violences) “peut être le même” : un enfant paralysé par la peur, ou même diminué par le manque d’assurance”... La conclusion est claire : “Prévenir la violence contre les enfants est essentielle, non seulement pour leur propre bien-être, mais pour la santé et le progrès de notre communauté mondiale”.

S’agissant de la France, et aussi, bien évidemment, de l’Espagne et de l’Amérique latine, l’une des violences subies par les enfants est sans aucun doute le spectacle de la corrida, “forme de course de taureaux consistant en un combat à l’issue duquel le taureau est mis à mort”... même quand l’enfant paraît fasciné (voir plus loin). On ne peut que souscrire aux effets négatifs qui ont été énumérés par le collectif de 75 psychiatres et psychologues créé autour des pédopsychiatres J.P. Richier et J. Lequesne, et recensés par Dimitri Mieussens dans VegMag/Regard Animal de mai-juin 2011 et juillet-août 2011 :
** effets traumatiques ;
** accoutumance à la violence ;
** fragilisation du sens moral ;
** perturbations des valeurs.
J’ajoute que le “spectacle” de la corrida avec les banderilles plantées par le torero et les picadors dans le corps de l’animal, le sang qui coule, les tentatives “désespérées” du taureau pour échapper à des tortures et souffrances qu’il ne peut fuir, et la mise à mort sanglante du taureau, a une forte probabilité de nourrir et renforcer l’insécurité affective des enfants, surtout les plus fragiles et vulnérables. En particulier, quand ils sont émotifs, anxieux et angoissés, et aussi quand ils ont noué des interactions accordées (ajustements et partages des comportements, des émotions des affects et des rythmes d’action) avec un animal qu’ils considèrent comme un ami et un confident. Ils ont le sentiment de ne pas être abandonnés, oubliés, délaissés, en danger... grâce à ce(s) compagnon(s) qui font partie de leur univers émotionnel et affectif comme s’ils étaient humains. Ils peuvent tout lui dire sans se sentir jugés et trahis, notamment lorsqu’ils sont en souffrance dans leur famille, à l’école ou ailleurs. “Parallèlement”, j’ai souvent constaté la détresse des enfants devant un chien, un chat, un lapin... blessés ou tués par un véhicule, ou encore par un chasseur, un voisin irascible, un parent... Il m’est arrivé aussi de voir en milieu rural des enfants en larmes, prostrés ou agités, parfois inconsolables devant la souffrance d’un mouton, d’une vache, d’un cheval, d’un chevreuil... blessés et ensanglantés. Le mal-être et le chagrin des uns et des autres se retrouvent dans leurs discours, leurs dessins et leurs écrits... également “ensanglantés”, à la maison et à l’école. Ils génèrent souvent des peurs, blocages affectifs et/ou inhibitions plus ou moins invalidants, ainsi que des “troubles” du sommeil et du rythme veille-sommeil (difficultés d’endormissement, insomnies, réveils “accompagnés” de cauchemars et, chez les plus jeunes, de terreurs). On peut faire l’hypothèse forte que le “spectacle” sanglant et morbide de la corrida entraîne des perturbations comparables, même si on ne dispose pas de données scientifiquement fondées. C’est en tout cas ce que disent des parents qui ont assisté occasionnellement à une corrida avec leur(s) enfant(s), qui ont visionné ensemble un film mettant en scène une corrida, ou encore dans le cadre d’une narration ou d’une lecture.

En outre, connaît-on vraiment les motivations réelles des enfants qui émettent le souhait d’assister à une corrida, en particulier ceux que leurs parents inscrivent dans une école tauromachique ? S’agit-il d’un engouement réel pour la tauromachie, d’une fascination pour le toréro, d’une posture pour épater les copains-copines, d’un engagement pour faire plaisir à un ou des parents... ?

Enfin, pour répondre aux Français qui mettent en avant les traditions et la culture, la corrida n’est pas ancrée dans l’histoire et la culture de la France. Elle a été codifiée et pratiquée en Espagne dans sa forme actuelle depuis le XVIIIème siècle, avec à cette époque une mise à mort effectuée par le matador à pied et armé de sa seule épée.... et non pas en France. “Elle est d’autant plus espagnole qu’elle est l’œuvre lente d’un peuple et de ses gouvernants” (voir les encyclopédies), même si, au cours de l’antiquité, les « jeux taurins » et le culte du taureau ont eu une grande importance dans tous les pays du bassin méditerranéen. L’allégation selon laquelle la tauromachie est d’origine romaine est fréquemment réfutée par les historiens. Faut-il rappeler que les 3/4 des Français sont défavorables aux corridas et que 2/3 souhaitent leur interdiction pure et simple, y compris dans les régions concernées.

Il est donc consternant, incompréhensible, indigne et honteux que, sous la pression de la Fédération des Sociétés Taurines de France (FSTF), et avec la complicité du Ministre de la culture, la France soit le premier pays qui ait inscrit le 22 avril 2011 la tauromachie dans le Patrimoine immatériel français. Selon la FSTF “c’est un premier pas vers l’inscription au patrimoine de l’UNESCO, l’Espagne et les autres pays taurins ne vont pas manquer de suivre l’exemple de la France”. “En attendant” que la France annule cette inscription infamante de la tauromachie dans son Patrimoine immatériel, je n’ose penser que l’UNESCO et donc l’UNICEF puissent se prêter à un tel déni d’humanisme. Pourtant, je suis troublé que l’UNICEF France ait accordé le label “villes amies des enfants” à NIMES et ARLES. En effet, ces deux villes ont créé des écoles de tauromachie espagnole, donc de “spectacles” avec mise à mort de taureaux dans les arènes (centre de tauromachie et centre français de tauromachie de NIMES ; école taurine d’ARLES). Dès l’âge de dix ans, on y fait courir aux enfants de gros risques en les mettant en présence de veaux et vachettes plus lourds et souvent plus grands (on peut se demander pourquoi nous ne disposons pas de statistiques sur les accidents et blessures des enfants heurtés, renversés ou piétinés... ce qui doit logiquement arriver). On leur apprend à manier le poignard, une arme sacrificielle... Ils baignent forcément dans l’illusion narcissique de “l’habit de lumières” du matador et du statut de star qui en découle. Mais, que deviennent les jeunes après la perte de ce statut éphémère, et après les blessures plus ou moins graves et invalidantes dont ils ont été les victimes au “combat”.

En tenant un stand à la féria des enfants de NIMES qui précède la corrida de Pentecôte, l’UNICEF France cautionne implicitement la “corrida espagnole” qui prolonge cette manifestation, c’est-à-dire la mise à mort de taureaux dans les arènes.

Objectivement, on n’est plus dans “la priorité donnée à l’intérêt supérieur de l’enfant”, l’un des quatre principes fondamentaux de la Convention Internationale des Droits de l’Enfant du 20 novembre 1989. Objectivement, on bafoue “le droit de l’enfant d’être protégé contre les influences nocives”. Objectivement, on ne tient pas compte de l’adresse exemplaire de Monsieur Anthony LAKE “Prévenir la violence contre les enfants est essentielle, non seulement pour leur propre bien-être, mais pour la santé et le progrès de notre communauté mondiale”.

Non inféodé à un pouvoir politique ou autre, mais fidèle à mes engagements pour améliorer le bien-être, l’épanouissement, les équilibres biopsychologiques, les ressources morales et humaines, le devenir et l’avenir des enfants dans leurs différents lieux de vie, à tous les âges et dans toutes les cultures, je vous demande, Monsieur le Président, de mettre fin à la présence de UNICEF France à la féria des enfants de NIMES, et de reconsidérer l’attribution du label “villes amies des enfants”
aux agglomérations qui soutiennent les écoles tauromachiques, incompatibles avec les principes éducatifs et humanistes de l’ONU, de l’UNESCO, de l‘UNICEF, du Conseil de l’Europe... et de bien d’autres organisations.

En vous remerciant, je vous prie d’agréer, Monsieur le Président, l’assurance de ma très haute considération et l’expression de mes sentiments respectueux.


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